Longtemps considérée comme une profession plutôt masculine, la profession comptable libérale[1] se féminise de plus en plus. Les femmes représentent aujourd’hui plus de 40% des experts-comptables stagiaires. Pourtant, seulement 18% des experts-comptables inscrits au tableau sont des femmes. Nous vous proposons notre analyse et réflexion sur cette évolution majeure pour l’avenir de la profession.
En vingt ans, la proportion des femmes, parmi les stagiaires, a progressivement augmenté pour atteindre aujourd’hui 44%. Ce phénomène est le reflet de la forte féminisation des cursus donnant accès au DSCG, comme en témoignent les écoles de préparation à ce diplôme.
Ces statistiques attestent, dans le même temps, de l’évolution des mentalités chez les jeunes femmes, qui s’intéressent de plus en plus aux métiers du chiffre. Une fois le DSCG en poche, elles sont aussi nombreuses que les hommes à faire le choix d’effectuer leur stage, témoignant ainsi de l’attrait du diplôme d’expertise comptable : un diplôme très prisé par les recruteurs et qui offre une diversité de métiers (entreprise, cabinet, installation à titre indépendant).
De nombreux spécialistes du cursus d’expertise comptable estiment que, d’ici quelques d’années, la parité devrait être atteinte… et peut-être même dépassée, comme cela s’est vu récemment pour certains cursus (écoles de commerce, avocats, médecins). A titre d’exemple, les femmes représentent désormais 59 % des avocats stagiaires[2] !
Du diplôme à l’inscription à l’Ordre et à la Compagnie : pourquoi il y a-t-il moins de femmes ?
Il est surprenant de constater, qu’avec aujourd’hui 44% de femmes stagiaires, elles représentent seulement 36% des diplômées chaque année et 30% des nouvelles inscriptions à l’Ordre. Ces écarts sont bien sûr dus, pour partie, au phénomène de féminisation qui se fait sentir de manière progressive. Mais est-ce suffisant pour expliquer de telles différences ? Comparée à d’autres professions libérales, il semble que la profession ait un certain retard…
– 47 % des avocats actuellement inscrits au Barreau sont des femmes (contre 18% pour les experts-comptables) et elles représentent 61% des nouvelles inscriptions[3], (contre 30% pour les experts-comptables).
– Les femmes représentent 38% des médecins en activité, et elles sont majoritaires chez les moins de 40 ans et, en particulier, chez les moins de 35 ans (57%)[4].
Alors comment expliquer les départs dans notre profession avant l’obtention du diplôme d’expertise comptable (DEC), puis à l’inscription à l’Ordre et à la Compagnie ?
L’obtention du DEC ressemble souvent à un parcours du combattant. Les 3 années de stage se transforment bien souvent en 5 à 6 années avant l’obtention du sésame. Tout particulièrement, le mémoire implique des sacrifices importants et une motivation sans faille, à l’heure où les nouvelles générations accordent plus d’importance à équilibrer vie professionnelle et vie personnelle.
Cette analyse est d’autant plus pertinente si l’on rapproche l’âge moyen d’obtention du diplôme d’expertise comptable (autour de 30 ans) de l’âge moyen du premier enfant pour les femmes (29 ans[5]). Demande-t-on implicitement aux femmes de faire un choix entre vie de famille et diplôme ? Le parallèle avec le diplôme d’avocat permet de mieux comprendre les enjeux liés à l’âge : pour les avocats, tout se joue à l’examen d’entrée (soit environ 5 ans plus tôt que pour le DEC).
Une autre explication pourrait résider dans l’importance attachée au caractère libéral et à l’utilisation massive, dans la profession d’avocat, du contrat de collaborateur libéral, qui permet un démarrage en douceur d’une activité indépendante sans prise de risque financier ! Ce contrat, ouvert à notre profession depuis la Loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, est aujourd’hui encore très peu pratiqué. Il représente pourtant une alternative intéressante au salariat et, surtout, un véritable tremplin vers l’exercice libéral (création ex nihilo, rachat, association)[6].
Rémunération et évolution de carrière : les cabinets doivent encore faire des efforts !
Selon l’enquête réalisée par l’AE Intec (en partenariat avec l’ANECS) et notre connaissance du marché, la rémunération des jeunes femmes à l’embauche est similaire à celle des hommes. On note ensuite un décrochage qui s’amplifie au fur et à mesure de l’avancement de la carrière. Chaque situation doit cependant s’analyser au cas par cas, en tenant compte des éventuels autres « avantages » accordés par les cabinets qui n’apparaissent pas dans les statistiques. Pourtant, ces écarts peuvent surprendre à l’heure de la Loi de mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Les cabinets de taille internationale se plaignent, par ailleurs, d’un turn-over plus important chez les femmes que chez les hommes. Face à ce constat, certains cabinets comme Deloitte, Pricewaterhouse Coopers et Grant Thornton ont pris des initiatives intéressantes : conciergerie d’entreprise (services à domicile : ménage, repassage, pressing, traiteur,…), service SOS garde d’enfants, facilité d’accès au temps partiel choisi et mise en place de politiques pour promouvoir la carrière des femmes. Pricewaterhouse Coopers a ainsi créé un programme de coaching, « Women Survival Course », pour soutenir les femmes dans leur parcours professionnel, et Deloitte a lancé depuis 2001, le programme « Women in the Workforce » en faveur de l’équité hommes/ femmes. Ce dernier cabinet a d’ailleurs reçu le « Label Égalité homme-femme » décerné par le ministère du travail[7].
Un enjeu pour la profession et les cabinets
Aujourd’hui, la profession est face à un défi : la moitié des inscrits au tableau ont plus de 50 ans[8]. Le renouvellement de la profession devient donc un enjeu majeur pour l’avenir et passera, sans nul doute, par la prise en compte de la féminisation de la profession.
L’attrait de la profession auprès des étudiants, et plus particulièrement des femmes, est un sujet essentiel. L’Ordre des Experts-comptables et la Compagnie des Commissaires aux Comptes montrent avoir compris l’importance des nouvelles générations et de la ressource féminine en spécial pour le renouvellement de la profession, car en dépit d’une certaine féminisation, les femmes restent sous-représentées parmi les membres de l’Ordre. Il est aussi urgent que la profession et les cabinets prennent des mesures afin de conserver les jeunes femmes diplômées d’expertise comptable, qui sont trop nombreuses à quitter la profession comptable libérale : non-pénalisation des femmes dans leur carrière au moment de la maternité, possibilité d’aménagement du temps de travail (télétravail ou temps partiel choisi), service de garderie multi-employeurs et de conciergerie, volonté affichée de faire évoluer les femmes et de les associer, etc.
*Cet article reprend des parties de l’article co-écrit avec Sandrine LEZAN, expert-comptable et publié dans la revue l’Expert-comptable de Demain (2008)
[1] Regroupe les experts-comptables et stagiaires inscrits à l’Ordre, ainsi que les commissaires aux comptes et stagiaires inscrits près des Cours d’Appel, représentant environ 18 000 professionnels en exercice et 5 000 stagiaires.
[2] Source : Ministère de la Justice, « Statistique sur la profession d’avocat, situation au 1er janvier 2006 ».
[3] Source : Observatoire de la profession d’avocat, «Chiffres clés » (2006)
[4] Source : La démographie médicale au 1er janvier 2004, www.web.ordre.medecin.fr .
[5] Source INSEE : Bilan démographique 2002.
[6] Voir article « Le Contrat de collaborateur libéral : La réflexion des jeunes professionnels ANECS & CJEC Paris Ile-de-France », ECD, n°89, juillet/août/septembre 2006, P.27-28.
[7] Le label égalité récompense l’exemplarité des pratiques des entreprises. Ce label peut être décerné à toute entreprise, quelle que soit sa taille ou son activité (une version à destination des PME-PMI existe depuis 2006). Il est attribué pour 3 ans, et un contrôle intermédiaire est effectué à 18 mois. La situation au mois de mai 2008 faisait état de la labellisation de 38 entreprises ; le cabinet Deloitte est le seul cabinet à y figurer depuis 2005.
[8] Rapport annuel 2006 du CSOEC.